Leopardi ? L’Eau Partie ? Léaupartie ? Où est-on vraiment ?
Leopardi n’est visiblement qu’une orthographe fantaisiste de la part d’un cartographe qui ne sera probablement pas venu sur place et a par ailleurs interverti ce hameau et son voisin de Beaumont.
L’orthographe actuelle du toponyme est L’Eau Partie, utilisée au moins depuis le cadastre Napoléon. Cette graphie est, à première vue, aussi intrigante que la version animalière puisque l’eau est partout à Carentan, a fortiori dans ce lieu-dit où la première chose qu’on remarque, ce sont des étangs. Plutôt qu’une eau qui s’en est allée (partie), il faudrait voir une eau partagée (répartie), deux sources, dont les cours se séparaient, coulant depuis les étangs.[1]
Il est possible que cette graphie aquatique soit due à une fantaisie de l’accent normand. L’eau se prononce «l’iau». De «l’iau» à «lieu», il n’y a qu’un pas, un trébuchement. Lorsque le domaine fut vendu, à la fin du XVIIème siècle, c’était comme «héritage nommé le Lieuparty [Léaupartie], scize aud. Carentan, village de Beaumont, ayant appartenu à la Dlle de Beaulieu.».[2] Autrement dit, c’est un lieu qui a été partagé, pas une eau. Quel lieu ? Il est probable que le Domaine de Lieuparty appartenait autrefois au Domaine de Beaumont, son voisin immédiat, ou que les deux faisaient partie d’un troisième domaine bien plus étendu, lequel s’appelait peut-être Beaulieu.[3]
Le maître des lieux fut donc, un temps, le sieur de Léaupartie. Apparemment, car tel est le maître-mot dans toute cette histoire, il ne faut pas confondre le nom du domaine et le titre de sieurie de son propriétaire. L’Eau Partie appartenait à Léaupartie, soit, mais n’était pas à l’origine de ce titre. René était Léaupartie bien avant de vivre à l’Eau Partie.
René CANIVET (Lignée 006) était natif du Bessin, membre de la branche noble des CANIVET qui essaimait aux alentours d’Englesqueville-la-Percée. Plus précisément, il appartenait au rameau des CANIVET-MAILLARD, CANIVET par son père, Gilles de CANIVET, sieur de Lormel et Vierville[4] et MAILLARD par sa mère, Marie MAILLARD, dame de Léaupartie.
Faute de retrouver directement le mariage CANIVET-MAILLARD, il a fallu recomposer l’arbre de la mariée.
Les aïeux MAILLARD étaient apparentés à l’illustre famille d’HARCOURT. C’est à ce titre qu’on les retrouve dans l’Histoire généalogique de la maison de Harcourt (Volume 2). Et, cette généalogie nous amène du côté de la commune de Léaupartie (n° INSEE 14358), dans le Calvados, près de de Dozulé. Jacques MAILLARD était seigneur de Léaupartie, de Dozulé, de la Bigne, de Livet, de Launey et de Tour, etc… Par sa mère, il descendait déjà d’une fille naturelle de Philippe d’Harcourt, Baron de Bonnestable. Les liens entre les deux familles se renforcèrent lorsqu’il épousa Jeanne d’HARCOURT née le 26/03/1555, fille de Guy d’Harcourt, baron de Beuvron. Le couple n’eut pas d’enfant mais Jacques MAILLARD avait eu un fils illégitime : Bertin MAILLARD dit de Léaupartie. Cet enfant bâtard fut déclaré noble par la Cour des Aides en 1604 ou 1607 mais, dans un arrêt de 1666, l’Intendant Chamillart estimant que ce titre de noblesse n’était pas transmissible, condamna les héritiers de Bertin (Léonor, Pierre et René de Léaupartie, de la paroisse de St- Germain-d’Elle) à une amende de 100 livres chacun.[5]
En toute hypothèse, Bertin étant illégitime, il ne put hériter de son père. Les terres et les titres de Jacques MAILLARD allèrent donc à son frère puîné, frère qui s’appelait lui-même Jacques et était marié à Anne du PONT-BELLANGER, dame de Pont-Farcy.
Deux MAILLARD de Léaupartie figurent dans l’obituaire de Tour-en-Bessin [6] :
On peut imaginer que le premier est le mari d’Anne de Pontbellanger et le second est leur fils.
De fait, le décès prématuré de René MAILLARD obligera les maris de ses sœurs[7] et héritières, à reprendre les instances que ce décès avait laissées pendantes. Ce sont les mêmes parties que nous retrouverons lors du partage de la succession d’Anne de Pontbellanger quelques années plus tard. Chose certaine, à sa mort, celle-ci n’avait plus d’héritier mâle portant le nom de MAILLARD.
En effet, le 16/02/1628, Gilles Canivet, écuyer, seigneur de Lormel, Hervé le Provost, écuyer, et Guillaume Cadot, écuyer ayant épousé les demoiselles sœurs de René Maillard, écuyer, seigneur de Dozulé et Anne Maillard reprirent le procès laissé par ledit Maillard à Bayeux du fief de la Verge contre Richard Bethon, sieur de la Rozière, avocat du roi en l’élection de Bayeux, saisi pour lui et aussi pour Guillaume et Jacques Picot, écuyers, frères pour les arrérages de 65 livres de rente.[8]
Précisons l’identité des parties :
Notez que ni Jeanne MAILLARD, autre fille du couple MAILLARD-de PONTBELLANGER, ni son mari, Jean PIGACHE, seigneur de Lamberville et Chanteloup, qu’elle a épousé par CM du 05/05/1596 [13], ne sont mentionnés dans l’acte de 1628. Ils sont probablement déjà décédés, le cas échéant, sans descendance.
En 1639, les parties au partage de la succession d’Anne du PONT-BELLANGER [14] sont les mêmes, à ceci près que Guillaume CADOT est décédé entre temps et qu’il est remplacé par le nouveau mari d’Anne. On a donc :
Notez qu’on retrouvera par la suite Pont-Farcy parmi les titres de Gilles.
En résumé, c’est donc bien par sa branche maternelle, par les MAILLARD, que René héritera de Léaupartie. On peut aussi d’ores et déjà noter que ces MAILLARD, et en premier lieu, les tantes de de René, avaient bénéficié d’alliances relativement prestigieuses.
A suivre …
Christophe Canivet, L. 026
[1]C’est l’étymologie préconisée dans un article des Mémoires de la Société d’archéologie, de littérature, sciences et arts d’Avranches 1882 T5 p 285. On retrouve d’ailleurs cet ancien sens du verbe partir dans l’expression «avoir maille à partir». Une maille valait un demi denier, qui ne valait lui-même qu’un douzième de sou tournois. Et il fallait vingt sous pour faire une livre tournois. Il était donc très difficile, voire impossible, de diviser une monnaie qui n’avait qu’une valeur infinitésimale.
[2]Je n’ai pas retrouvé l’acte de vente lui-même mais une sommation de payer faisant suite à cette vente. Je ne sais donc pas quand exactement et par qui (René ou ses héritiers?) il a été vendu. Voir dans le chartrier du Château de Courcy : 1696.- Sommation de paiement de rente par le receveur du domaine de Carentan au «sieur Campaing, comme acquéreur des héritages nommés le Lieuparty [Léaupartie], scize aud. Carentan, village de Beaumont, ayant appartenu à la Dlle de Beaulieu.» (cote 356 J 79 aux AD 50)
[3]Puisque, pour l’heure, je n’ai pas réussi à remonter la généalogie des SIMON, ni donc où pouvait se situer la sieurie de Beaulieu
[4]Gilles de CANIVET était au final seigneur et patron de Lormel, Vierville, Léaupartie, Lins, Pontfarcy, Ste Norine mais je n’ai retenu ici que le seul titre qu’il avait assurément avant son mariage, les autres venant plutôt de la dot de son épouse. Pour coller au toponyme, il serait plus correct d’écrire l’Ormel.
[5]Recherche de la noblesse en la généralité de Caen: en 1666 et années suivantes p 793
Léonore de Léaupartie, notamment, se disait écuyer, sieur du Neufbourg, lorsqu’il épousa Marie Le Grand, le 24/05/1662 à Douvres-la-Délivrande vue 46
[6]L’obituaire de Tour a été transcrit dans un article du Bulletin de la Société des antiquaires de Normandie (1893). Notez au passage que les toponymes Leaupartie ou assimilés ne sont pas légion pour le Calvados et la Manche. Le fichier FANTOIR ne dénombre justement que l’Eau Partie à Carentan, la commune du Calvados et le pré de Léaupartie à Tour-en-Bessin.
[7]ou plus exactement les maris de celles-ci, les femmes mariées n’ayant pas, à l’époque, la capacité juridique
[8]Cote R1B945 aux AD76 (la série R1B concernant les archives du Parlement de Normandie)
[9]Cote 5E13367 Torigni aux AD 50
[10]Cette union explique pourquoi plusieurs documents concernant les MAILLARD se retrouvent dans le chartrier d’Hemevez (cote 261 J aux AD50)
[11]Ces deux fiefs étaient situés sur l’actuelle commune de Tour-en-Bessin
[12]Le droit de viduité était un droit typiquement normand, résultant de la Coutume de Normandie, permettant au veuf qui a avait eu au moins un enfant de son épouse décédée, de jouir de l’usufruit de tous les biens de celle-ci, y compris si elle avait eu des enfants d’un premier mariage. Je suppose ici donc que, de son vivant, l’épouse remariée, mère d’enfants nés d’un premier lit, conservait une partie de sa capacité juridique en tant que représentante de ses enfants… A vérifier
[13]5E13356 Torigni aux AD50
[14]Acte de partage du 15/08/1639, côte F7265 aux AD14
[15]Cote 5E13427 Cormolain aux AD50. Anne était alors dame de St Germain d’Elle, La Bigne,
Log in to post a comment.
Comment