LE CHAT DE LEAUPARTIE (V) – Comment un des petits-fils de René Canivet crut lui aussi être victime de diablerie

Le lien familial étant rétabli, revenons à Pierre LE VAILLANT et à la seconde affaire de Léaupartie.

Quoiqu’en aient dit certains commentateurs et en premier lieu M. de Pautaumont, il demeurait non pas à Carentan, mais à Landes-s/-Ajon, près d’Evrecy. L’Eau Partie était peut-être la terre de ses aïeux, voire même la maison natale de sa mère, mais le domaine de Carentan n’est pas directement concerné par cette seconde affaire.

De son union avec Jeanne Basire, fille et unique héritière d’un prieur-consul de Caen, Pierre LE VAILLANT de Léaupartie a eu six enfants :

– Jacques François LE VAILLANT, né le 17/01/1711

– Joseph LE VAILLANT, né le 02/02/1713

– Marguerite LE VAILLANT, née le 01/03/1714

– Marie Jeanne LE VAILLANT née le 22/10/1717, morte le 18/10/1747

– Marie Anne Françoise LE VAILLANT née le 24/09/1720, sera Religieuse Carmélite à Caen

– Claude Françoise, dite Claudine, LE VAILLANT, née en 1732 ???[1]

En sa qualité de seigneur et patron de la paroisse de Landes, il dut rechercher un nouveau curé en 1723 et jeta son dévolu sur Jean Heurtin, obiticier d’Evrecy. Celui-ci avait déjà la réputation d’un illuminé, pour avoir été le conseiller et protecteur de Marie Letoc[2], «la sainte d’Evrecy», une femme à visions,  et pour quelques autres excès de zèle qui lui valurent une suspension de ses fonctions. En un mot,  le nouveau pasteur voyait le surnaturel partout. Nul doute que le curé fut un obligé et un habitué des Léaupartie.

Deux ans après la nomination de Jean Heurtin, l’aînée des demoiselles de Léaupartie tomba gravement malade. L’abbé y vit là une œuvre du Malin. Ceci dit, l’adolescente rentra guérie après un séjour chez les capucins et les eudistes de Coutances.

En 1732, c’est Claudine, la plus jeune de ses sœurs qui tombe à son tour malade, maladie accompagnée de maux de cœur et de convulsions. La famille tente plusieurs remèdes, fait venir un médecin de Caen, sans résultat. On se tourne alors vers la voie ecclésiastique, le Père Heurtin procédant lui-même à exorcisme. La maladie sembla disparaître pendant quelques mois puis revint à la charge, se répandant bientôt aux sœurs de la jeune fille puis à tous les enfants du voisinage. On fit venir des experts, médecins et théologiens, de toute la Normandie et même de Paris, on brinquebala les enfants d’études en expertises. L’Évêque de Bayeux, voulant faire interner ses filles (on était déjà en 1734), le sieur de Léaupartie fit publier un mémoire pour obtenir la nomination d’un expert de la Sorbonne. Pour lui, ses filles n’étaient ni des simulatrices (aucune malice ni dessein concerté), ni des malades (ces accidents n’arrivant que par accès), ni des perverses (caractère, éducation et piété irréprochables), et leur comportement échappait aux explications naturelles. Il étayait son argumentaire de faits qu’il considérait comme objectifs, de prodiges physiques ou intellectuels, le tout s’accompagnant de changements d’humeur inattendus et profonds. Ces propos ne sont que les prémices d’une polémique qui défraya les chroniques pendant plusieurs années entre les «possessionnistes» et de leurs adversaires parfois dénoncés comme jansénistes, impies ou hérétiques, le plus souvent comme incrédules.

Nous nous épargnerons le détail de ces arguties et de toute cette agitation qui s’éternisa pour ne retenir qu’au final, les filles furent mises en pension séparément et que le «mal» disparut bientôt de lui-même. On se contenta d’estimer que les adolescentes avaient été bien trop impressionnées par les récits et élucubrations du Père Heurtin. Quant aux enfants du voisinage, il fallut se convaincre qu’elles avaient simulé leur mal afin de bénéficier des largesses de Madame de Léaupartie qui souffrait elle-même d’un excès de compassion pour les enfants qui semblaient subir les mêmes maux que ses filles.[3]

Nous savons peu de choses du reste de la vie des filles LE VAILLANT. Marie Jeanne décéda dès 1747. Marie Anne Françoise devint religieuse. Apparemment, seule la petite Claudine devint elle-même mère après s’être mariée le 06/10/1750 à Landes-sur-Ajon,[4] avec Jacques (Charles) François DOUEZY, écuyer, Seigneur et Patron d’Ollendon. Elle est morte le 28/01/1763 à Olendon[5], laissant deux orphelins, son mari étant lui-même décédé peu avant.

A noter enfin que les fils de Pierre, qui ne semblent pas avoir été concernés par les égarements de leurs sœurs, mériteraient toute une étude, s’ils ne nous éloignaient pas quelque peu de notre sujet principal.

Le fils aîné, Jacques-François le Vaillant, fut Seigneur et Patron de Tournay, Ragny, Regnault,Villodon, Landes, Banneville-sur-Ajon, Saint-Denis-Ie-Gast, Grimesnil, du Tanu, de Sainte-Marguerite-sur-Ia-Mer, Orbeville, etc… Dans un premier temps, embrassant la carrière des armes, il a notamment fait la campagne d’Italie de 1734.[6] Puis, il épousa, par contrat du 12 Janvier 1748, Charlotte-Françoise-Henriette le Marquetel-de-Saint-Denis de Saint-Evremont, petite-niéce de Charles le Marquetel-de-Saint-Denis, Seigneur de Saint-Evremont, le philosophe libertin.[7] Jacques François LE VAILLANT de Léaupartie fut ensuite avocat-général au Parlement de Normandie où la rigueur de son caractère entraîna des mouvements d’humeurs récurrents des avocats allant jusqu’à une grève générale[8]

Son frère cadet, Joseph, embrassa lui aussi la carrière des armes. Il se fera connaître comme  le Chevalier de Léaupartie, Capitaine dans le Régiment de la Reine. Il aura semble-t-il fait honneur à son patronyme. Comme dit l’adage, à cœur vaillant, rien d’impossible. Il eut une cuisse fracassée à la bataille de Guastalla (Italie 19/09/1734), le bras gauche emporté d’un boulet de canon à l’affaire de Sahé (Bohême 1742), et il est mort des suites de ses blessures, en Italie, pendant la campagne de 1743 (ou celle de 1746 suivant les sources).

En résumé, des sorcières qui jouent à chat-perché et des Canivet qui jouent à colin-maillard avec leur patronyme, un grand-père qui a entendu dire que et un petit-fils qui a cru voir que… Où est la vérité dans tout ça ? Y-a-t-il seulement une vérité ?

Christophe Canivet ( Lignée 026)

 [1]Je reprends ici les dates de naissance indiqués par les ouvrages habituels de référence, Armorial general de la France, par d’HOZIER Volume 6 p 520 (1768) et Dictionnaire de la noblesse, par Aubert (1778) p 729 mais ces deux  auteurs n’indiquent pas le lieu de naissance des enfants, ce qui ne m’a pas permis pour l’heure, de retrouver leurs actes de baptême. A coup sûr, je ne les ai pas vus dans les registres de Landes. Surtout, on remarquera qu’e ces ouvrages de référence ne donnent qu’une année et pas une date précise pour la dernière née. Cette date est, me semble-t-il, incohérente, d’une part parce qu’elle serait née bien après ses frères et sœurs et d’autre part parce que les faits la concernant commencent précisément en 1732 et décrivent une enfant âgée plutôt de neuf à dix ans. Son mariage, dès 1750, la dit déjà majeure mais son décès, en 1763, ne lui donne que trente-huit ans. Donc, mystère…

[2]Une illuminée qui a un nom de Trouble Obsessionnel Compulsif ^^ Encore un hasard de l’Histoire même si, bien entendu, la notion n’était pas encore connue
[3]Pour une étude plus détaillée des symptômes et des argumentaires respectifs, voir La Normandie, romanesque et merveilleuse: traditions, légendes,  et superstitions populaires de cette province / par Mlle Amélie Bosquet (1845) p334 et suivantes ou  La possession des filles de Landes-sur-Ajon. Conjoncture convulsionnaire et combats des Lumières, 1732-1739/ par Michel Bee / Hors-série des Annales de Normandie  Année 1982  Volume 1  Numéro 1  pp. 21-36[4]vue 76[5]vue 256[6]En espérant que mes sources n’ont pas confondu les deux frères
[7]Charles de Marguetel de Saint-Denis, seigneur de Saint-Evremond est né vers 1614 à Saint-Denis-le-Gast. Cadet d’une vieille famille de la noblesse française, il était destiné à la magistrature mais choisit les armes et appartint à l’état-major du prince de Condé jusqu’à la Fronde. Il prit alors parti pour la Cour dont il devint maréchal de camp en 1652. En 1661, après avoir critiqué Mazarin, il est disgracié puis contraint à l’exil, en Hollande puis en Angleterre.  Il se tourne alors vers la littérature  et fréquente la bonne société londonienne qui lui doit notamment l’essor du breuvage mis au point par Dom Pérignon. Épicurien, prônant la volupté raisonnée, il est classé parmi les libertins et,  par ses ouvrages politiques, il préfigure la pensée de Montesquieu. Il meurt à Londres en 1703, sans jamais avoir foulé à nouveau le sol français mais sans jamais avoir appris la langue de Shakespeare. Il est un des rares étrangers enterrés dans la cathédrale de Westminster et restera à tout jamais un des plus brillants esprits nés en Normandie.
[8]Histoire du Parlement de Normandie, Volume 6 Par Amable Floquet p229 et suivantes

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