14-18 Marc Alexis Canivet enfant de la Patrie (suite)

Nous avions laissé le petit carnet noir d’Alexis Canivet au moment où la sœur de ce dernier prenait la plume pour y inscrire le décès de leur mère en mai 1915. Si l’on remonte un peu dans le temps, Angélique avait décrit l’exode des 23 et 24 août 1914 :
…parti(s) d’ici (La houzée) le 23 (août 1914) à midi, toutes nos bêtes dans la cour, nous nous sommes dirigés sur Clermont et là nous avons couché, Sidonie, Urbain (un domestique) et moi, dans notre chariot au milieu de la place de Clermont. Edgard, Richard, Léopoldine dans des granges au milieu de 204 mitrailleurs et d’au moins 200 à 250 chevaux. Un pauvre petit français est venu se reposer près de nous ; le 24, nous partons tout au matin pour Barbençon, toute la Houzée est partie : Palmyre, Horace a son plus jeune fils bien malade et il faut partir ; tout Thuillies également est parti. Clermont nous suit ; Où va-t-on ? On ne le sait pas.carnet noir p1w
Nous arrivons à la place de Solre-Saint-Géry à 11heures, tout est plein de vaches, poulains, chevaux, veaux, charriots, voitures. On y voit de tout, de tout ! Là les français y sont. On attend le ravitaillement et les ambulances. Oh Marc, Marc, que c’est triste… les ambulances sont alignées sur la place. Nos pauvres cœurs ne peuvent y tenir. Nous avons pris au moins 150 œufs pour partir, nous courrons les chercher, nous les donnons à ces pauvres soldats blessés. D’aucun ne savent plus les prendre, nous sommes obligées de faire 2 trous et monter leur donner ! oh Marc, quelles blessures ! pauvres petits français et pauvres mamans ! Si comme nous elles avaient pu le savoir. Marc, nous avons fait cela pour vous afin que si vous vous  trouviez blessé, une autre maman puisse aussi vous venir en aide. A 5 heure, le bourgmestre arrive nous disant : « partez partez vite, voilà les allemands ». Nous ne sommes descendus que 20 minutes plus loin et là, j’ai dit : « A la garde de Dieu, je ne vais pas plus loin ». Nous avons couché dans une grange à 9h ; à 11h Fidèle arrive nous dire : il faut partir plus loin et je dis non « ah non, je retourne chez moi et à la grâce de Dieu, je ne vais pas plus loi n ». Et le lendemain à 6heures du matin , le mardi 25, nous partons pour rentrer chez nous : partis avec les français, nous rentrons avec les allemands; l’un nous donne du champagne, un autre des bonbons, six autres nous crient : « allemands bons » (oui bons incendiaires, tueurs de femmes et enfants !). Vous ais-je dit, Marc, qu’ils avaient tué le père Adèle de la couronne et l’ont brûlé ensuite…
Du 28 au 30 août
Tout tonne ici, le canon gronde à Maubeuge. On dit que cela ne peut durer longtemps, après on nous dit que Maubeuge est pris.
Toutes nos bêtes sont retrouvées, donc nous n’avons rien perdu. J’ai oublié de vous dire que nous avons eu ici jusqu’à 27 allemands à coucher le lendemain de notre rentrée. Tous très bien, ils ne nous ont rien pris, nous ont obligé à souper de leur viande et déjeuner également. Un petit soldat ordonnance est tout votre portrait, nous lui avons donné des poires, tous bien gentils.
Peu après, son sentiment a changé :
Nous sommes plein d’allemands, il en passe, en passe, des journées entières ! Que de tristesse Marc et qu’allons-nous devenir ! et que nous sommes en peine !
Les allemands sont à Soissons, dit-on.
Ici on nous oblige à tout fournir à l’armée : grains, avoine. Ils ont tout ravagé en Belgique, tout détruit, tout dévalisé les maisons ; ils restent dans les châteaux vides, les maisons également. Ici à Célénie ( ?)ils sont à 19 et nous leur vendons pour 2 fr de lait tous les jours (nous pas donner, nous prendre, voilà ce qu’ils nous disent) marc au revoir, je t’embrasse.
Marc, on a réquisitionné les chevaux et on nous a pris Mouche : c’est pour l’Allemagne. Les gueux, ils me l’ont payés 800 fr , encore bien qu’ils l’aient payée : il en ont tant pris pour rien ! Que faire contre des gens pareils ?
Votre lettre partie le 22 août par Brussel nous arrive le 29 novembre. Nous avons eu des nouvelles 2 fois par un homme de Marchienne qui a été voir son fils, l’autre par Arthur Louplois qui a écrit à son frère Auguste et dis vous avoir vu à La Panne.
Quelques mois plus tard, à bout de fatigue et de tristesse, Angélique s’éteint à La Houzée. Elle sera enterrée le jeudi 27 mai 1915. Un inventaire est réalisé 5 jours plus tard. La ferme est alors louée à son frère jusqu’à trois mois après la conclusion de la paix.
Pendant ce temps, Marc écrit  : je ne crois jamais mourir,  je suis trop petit : les balles passeront dessus moi.. vous verrez tout ira bien, je ne vous demande donc pas chère mère la bénédiction, qui vivra verra… Pas adieu donc mais au revoir toujours courage et patience. Votre fils et frère dévoué (sans date).
Il finira la guerre sur le front de l’Yser où il sera gravement intoxiqué par les gaz. Une photo datée du 02 avril 1919 le montre alité, un petit écriteau au dessus de sa tête indiquant son nom. Au dos : Hôpital militaire d’Anvers.
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Il devra y passer une grande partie de l’année 1919. Le 27 novembre, il fait parvenir une photo de lui en civil, postée à Bruxelles avec la mention «  de votre frère Marc ». Le 6 décembre, il est sur le quai de la gare à Jeumont et il confie dans un poème toute sa détresse, sa solitude mais la joie naissante d’avoir trouvé l’âme soeur à Thuin : Angèle Mathias .
Que s’est-il passé entre ces deux dates ? La tradition familiale rapporte que lorsqu’il est rentré à La Houzée, il n’y avait plus personne : sa mère, on l’a vu, était morte en mai 1915, son frère Richard, marié avant-guerre, a quitté la Belgique après l’exode d’août 1914 mais où a trouvé refuge le reste de la famille? Le voilà seul, marqué à jamais par la guerre.  Il semble qu’il ait été accueilli chez les Dufourny, des amis de la famille, à Havré-Ghislage. Il rencontre à Thuin, Angèle Mathias, qu’il épousera dès février 1920 à Hautmont.  Il y retrouve son sourire et la joie de vivre.
poeme marc A canivet 1919
D Marc Canivet 1935 Hautmont 59Lors qu’il décède, jeune encore, en 1935, les anciens combattants de Hautmont  et de Belgique lui rendront hommage. Il avait reçu la croix de guerre belge avec palmes, la médaille de l’Yser et la médaille interalliée.

 

 

 

 

 

Nous remercions encore Bernard Hutin L 005, petit-fils de Marc Canivet, qui nous a fourni les documents et les sources de cet article.

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